Il n’y a pas d’édition sans risques… Dans un secteur devenu très concurrentiel, nous nous efforçons de maximiser nos chances de réussite en essayant de nous poser les bonnes questions.

Et celle qui revient le plus souvent est la question suivante : 

Est-ce que ce jeu est un bon jeu ?

Sans avoir de réponses toutes faites, nous essayons quand même de réfléchir à un certain nombre de points qui nous semblent essentiels…

Est-ce qu’un bon jeu est un jeu qui se vend ? 

Pour éviter un débat futile, on va aborder une question que tout le monde se pose : Est-ce qu’un bon jeu est un jeu qui se vend ?

AS d'o : la cérémonie des bons jeux

Cette question, on se la pose bien sûr en tant qu’éditeur, et les objectifs des uns et des autres peuvent être largement différents d’une maison d’édition à une autre : faire du chiffre et de la marge immédiatement, installer son produit comme un classique dans le temps, gagner l’As d’Or 😉), rembourser son investissement, gagner ou regagner  la confiance des clients…

La production ludique francophone et internationale regorge d’excellents concepts dont, beaucoup d’entre eux, pour des raisons variées, ne trouveront pas leur public. Ce phénomène n’est pas propre au secteur du jeu de société mais à toutes les activités fortement concurrentielles. Ce qui compte, quand un jeu ne fonctionne pas, c’est de tenter de comprendre pourquoi le jeu considéré n’a pas trouvé son public.

Profiler, un bon jeu passé sous les radarsUn exemple d’une de nos productions qui a raté sa venue sur scène : PROFILER. Sorti il y a quelques années, ce jeu, pourtant plébiscité par la communauté des joueurs, et dont nous étions, et sommes encore, persuadé de sa qualité, n’a pas réussi sa mue et s’est arrêté après quelques tirages en France et à l’étranger. Même s’il est certain que nous aurions « marketé » différemment le jeu aujourd’hui, cet échec relatif nous a pour le moins déstabilisé car nous n’arrivions pas à comprendre le pourquoi du comment. Près de dix ans plus tard, nous pouvons probablement faire l’analyse suivante : la mécanique même du jeu qui est basée sur des débats idiots mais riches en rebondissements est sa grande force pour les habitués du genre mais son extrême faiblesse pour les néophytes qui la trouvent clivante. Ce paradoxe a pu également se cumuler à d’autres facteurs (nom du jeu, parti pris graphique…) et cela explique potentiellement ce non-succès commercial.

Ainsi donc, un succès commercial n’est pas nécessairement le fait d’un bon jeu. Par contre, faire vivre un jeu au fil des ans est un objectif pour tout éditeur et, si le jeu est bon, c’est encore mieux.

Est-ce qu’un bon jeu est un jeu innovant ?

Si la force d’une « grande idée » peut séduire le plus grand nombre, comme c’est le cas de THE MIND qui met pour la première fois le mentalisme à la portée de tous, le référentiel à des choses connues a un caractère rassurant pour le futur client. On n’a pas besoin de faire preuve nécessairement d’une créativité débordante pour gagner leurs suffrages. Un simple twist un peu différent des propositions connues peut faire l’affaire.

Imagine un jeu innovant de dessin

Le bon jeu maudit mot dit

Par exemple, TIME’S UP est un jeu de mimes mais avec des paliers progressifs ; IMAGINE est un jeu de dessin mais avec des cartes transparentes qui vont être utilisées comme support ; et MAUDIT MOT DIT est un jeu de devinettes mais où l’on doit deviner un mot en un nombre précis d’indices .

Donc, un bon jeu peut avoir un caractère innovant ou se rapprocher de mécanismes qui existent déjà sans être forcément révolutionnaire, et cela ne déterminera pas son succès ou non. 

Est-ce qu’un bon jeu est un jeu avec une bonne thématique ?

La réponse est catégorique : c’est non !
Ce qui compte c’est le moteur et pas les accessoires. Et tout le reste n’est que littérature. A la manière d’un commis de cuisine talentueux, l’éditeur va tenter d’accompagner son plat principal avec un mix d’ingrédients dont l’assemblage pourra sublimer la recette. Cet « ajout » est à double tranchant car s‘il est réussi, cela peut laisser augurer le meilleur… Mais, s’il est raté, cela peut fortement ébranler la construction de départ.

Il n’y a rien de pire qu’une fausse bonne thématique qui peut compromettre un produit qui était très prometteur. Un exemple chez nous : Il y a près de 15 ans nous avions pris les droits francophones d’un jeu de Reiner Knizia qui était un stop ou encore très réussi qui s’appelait SLAM DUNK THE SIMPSONS où il fallait taper sur des beignets. C’était totalement idiot mais très malin. Parce qu’on n’est pas toujours des génies, on a décidé de changer la thématique en renommant le jeu LA FOLIE DES GLANDEURS avec en toile de fond la glande au bureau. Funeste erreur qui a coûté sa vie à ce jeu. Un peu de tests en amont nous aurait certainement permis d’éviter cet écueil.

Est-ce qu’un bon jeu est un jeu reconnu par les acteurs ludiques ?

Généralement oui. Même s’il faut se méfier des effets de buzz auprès des boutiques et/ou des festivaliers, force est de constater que les professionnels du secteur savent généralement dissocier le bon grain de l’ivraie et que leurs intuitions sont le plus souvent justes. Quelques exemples mais il y en a d’autres : les succès attendus de UNLOCK et de MICRO MACRO avant même qu’ils ne soient mis sur le marché.
Attention néanmoins aux jeux « soufflé au fromage » qui montent très haut mais se dégonflent très vite. Cette erreur d’appréciation a un caractère quelque part rassurant car cela démontre, si besoin était, que l’édition de jeux n’est pas une science exacte et que tout le monde peut se tromper, même « les meilleurs d’entre nous ».

En outre, nous arrivons ici à un point essentiel : pour savoir si le jeu est bon, s’il va fonctionner, nous avons besoin d’avis extérieurs. Et qui dit avis, dit tests !

Les tests de jeu : l’indispensable pour faire un bon jeu ? 

PLOUF PARTY : des tests de jeu en dehors de la structure

A cette question, nous avons une certitude : oui, oui et oui..  On ne sort pas un bon jeu sur un malentendu et les rares exceptions confirment cette règle. Bien sûr, il n’y a pas de corrélation entre le temps passé sur les tests d’un jeu et son succès commercial mais ce qui est quasiment certain c’est que plus on fait tester un jeu, plus il aura de chance de trouver son public. Dans un marché à 20 nouveautés par semaine, un produit « au ventre mou » n’a aucune chance de survie s’il n’est pas préalablement passé dans les mains d’un panel de boutiques et d’utilisateurs finaux. Les erreurs peuvent vite arriver lorsqu’on a la tête dans le guidon et les yeux sur notre prototype pendant des mois. Les tests avec des personnes extérieures à la maison d’édition et aux auteurs permettent donc d’éviter certains écueils.

Est-ce qu’un bon jeu est un jeu qui survit à l’épreuve du temps ?

C’est peut-être là notre conclusion. Un « bon jeu » n’aura peut-être pas toujours le succès commercial escompté à cause de plusieurs facteurs, pas forcément simples à déterminer. Néanmoins, et c’est toujours l’éditeur qui parle, plus un jeu vit dans le temps, plus ses chances de trouver son public et d’entrer dans le club très select des jeux reconnus par le tout public, sont importantes.

Twin it, un bon jeu de rapidité !

Cela va dépendre à la fois de la force de la proposition initiale mais aussi de l’effort déployé par l’éditeur et les concepteurs pour faire vivre le produit au fil des ans. La vie d’un jeu n’est pas un long fleuve tranquille et il va falloir le retravailler, le moderniser et communiquer dessus à intervalles réguliers pour qu’il puisse encore séduire le plus grand nombre.
La route est longue et pavée d’embuches avant d’accéder au statut très convoité d’ « Evergreen » (produit dont le niveau de notoriété et le taux de satisfaction sont tels que, sauf « accident industriel », il ne peut plus chuter. Dans le secteur du jeu de société, on peut citer, entre autres, le Monopoly, les Aventuriers du Rail, Catane…).
Même si les marges de progression possibles sont plus importantes que sur des produits de consommation courante, il va falloir s’employer à trouver le point de bascule où un jeu va « crever » le plafond de verre et devenir incontournable.